Les requins sont présents sur Terre depuis environ 450 millions d'années, soit depuis plus longtemps que presque tout autre animal ayant jamais existé. Ils ont traversé chaque grand épisode d'extinction massive et ont longuement survécu à nombre de leurs concurrents. Avec plus de 3 000 espèces couvrant près d'un demi-milliard d'années, les requins sont l'une des espèces les plus performantes de l'évolution.
Le requin marteau est probablement apparu dans nos océans il y a environ 20 millions d'années et était aussi gros que certains requins marteaux contemporains. À ce jour, plus de 529 espèces différentes de requins sont répertoriées et plus de 10 espèces de requins marteaux ont été reconnues.
Sphyrna mokarran est le nom scientifique du Grand requin marteau. L'étymologie de Sphyrna est grecque: sphyrna signifie « marteau », mokarran est un nom arabe qui signifie « grand ».
C’est Wilhelm Peter Eduard Simon Rüppell (1794-1884), explorateur naturaliste allemand, qui décrit pour la première fois l'espèce en 1837. Il a mené deux grandes expéditions dans le nord-est de l’Afrique et a participé à la création de la Société d’histoire naturelle de Senckenburg en 1817.
Au cours de sa seconde expédition, de 1831 à 1834, près de Massaoua (Erythrée) au bord de la Mer Rouge, il observe un requin marteau qui s’échoue sur une bande de sable en poursuivant une proie. Eduard Rüppell remarque qu’il est différent des quatre premières espèces inventoriées par le zoologiste français Achille Valenciennes et lui attribue le nom arabe de mokarran. C’est un mâle de 2,92 m qui sera remis à l’eau vivant. Dans sa description extraite de son ouvrage Neue Wirbeltiere zu der Fauna von Abessinien gehörig de 1840 (page 66) Eduard Rüppell écrit:
« Ce requin marteau que j'ai trouvé en Mer Rouge ne correspond à aucune des quatre espèces que Monsieur Valenciennes a décrit dans son neuvième volume des Mémoires du Musée. La forme de sa tête est tellement différente … ».
Il décrit ensuite les différences entre son mokarran et le Zygaena malleus.
La même année, Eduard Rüppell décrit et dessine quatre autres requins : le Rhizoprionodon acutus (Requin à Museau Pointu), le Triaenodon obesus (Pointe Blanche du Lagon), le Carcharhinus albimarginatus (Pointe Blanche du Récif) et le Negaprion acutidens (Requin Citron).
Le Grand requin marteau est le plus grand de toutes les espèces de requins marteaux : la taille totale maximale jamais mesurée est de 610 cm, bien que 350 à 400 cm soit plus courant pour un spécimen adulte. Comme la plupart des requins, les requins marteaux femelles ont tendance à devenir plus grandes que les mâles. Le poids varie entre 200 et 500 kg avec un poids maximal enregistré de 580 kg.
Le Grand requin marteau appartient à la famille des Sphyrnidae, qui tire son nom de la tête latéralement élargie et comprimée verticalement, appelée céphalofoil. Pour le S.mokarran, il est plus large que pour les autres espèces de requins marteaux, avec un bord avant droit et lisse qui le distingue de ses pairs.
Les Grands requins marteaux possèdent deux dorsales bien développées qui permettent à ce poisson massif de naviguer rapidement dans les eaux. La longue première dorsale en forme de faucille et une paire de grandes nageoires pectorales assurent la stabilité dans l'eau, tandis que la nageoire caudale allongée agit comme une hélice, capable de propulser le requin à des vitesses pouvant atteindre 40 km/h. Il possède une deuxième nageoire dorsale et des nageoires anales relativement grandes. Les nageoires pelviennes sont également facilement identifiables grâce à leur bord arrière concave.
Comme tout les autres requins, le Grand requin marteau est un maître des sens. Il utilise au moins sept systèmes sensoriels (la vision, l’ouï, l’odorat, les lignes latérales, les ampoules de Lorenzini, le toucher et le goût) pour survivre et évoluer dans la colonne d'eau. Mais pour lui, son céphalofoil lui confère des avantages en terme de vision, d’odorat et de détection grâce aux ampoules de Lorenzini.
Le Grand requin marteau est largement répandu dans les eaux tropicales côtières et pélagiques. Il évolue le plus souvent dans des zones autour de 30 m de profondeur mais il déjà été observé à 300 m. Il est considéré comme un prédateur supérieur dans la chaîne trophique. En raison de ces longs déplacements migratoires, il est probablement un lien mobile important entre les écosystèmes, jouant un rôle majeur dans leur fonctionnement, leur structure et leur stabilité.
L'aire de répartition du Grand requin marteau s'étend sur toute la planète. On peut les observer dans les eaux océaniques entre les latitudes 40 N et 37 S. Dans l'océan Pacifique, on le trouve de la Californie du Sud et de la Basse-Californie au Pérou et des îles Ryukyu, du Japon, de la Chine à l'Australie dans le sud. L'espèce est également présente sur les plateaux continentaux de l'océan Indien. Dans l'océan Atlantique, il est présent du Sénégal au Maroc et dans la mer Méditerranée à l'est, en Uruguay et en Caroline du Nord, à l'ouest, y compris dans la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique.
En Polynésie française, le Grand requin marteau n'a été observé que dans certains atolls des Tuamotu et occasionnellement à Tahiti et Moorea :
Il est avéré qu'il migre sur de longues distances (1200 km en 62 jours). Toutefois peu d'informations existent sur ses habitudes migratoires. Pour couvrir de grandes distances de déplacement, il peut nager en inclinant son corps sur le côté, tout en continuant d'avancer. Cette posture de nage, appelée nage roulée, réduit la traînée lui permettant ainsi d'économiser de l'énergie, tandis que la grande nageoire dorsale lui assure de la portance.
Les mâles atteignent la maturité à environ 225 à 270 cm, tandis que les femelles à environ 210 à 300 cm. Le S. mokarran est vivipare, les petits naissent donc complètement formés comme chez les mammifères. La taille de la portée varie de 6 à 42 petits après 10 à 11 mois de gestation. La taille à la naissance oscille entre 50 et 70 cm. Les femelles se reproduisent une fois tous les deux ans. Les petits naissent entre la fin du printemps et l'été dans l'hémisphère nord et entre décembre et janvier au large de l'Australie, il n'y a aucune implication parentale après la naissance.
A ce jour, aucune nurserie de Grand requin marteau n'a été découverte en Polynésie française, bien que la présence de larges femelles en période de haute intensité sur Rangiroa correspond à la phase de mise bas établie en Australie.
Il s'agit d'une espèce solitaire. On sait très peu de choses sur son comportement social aux étapes clés de son cycle de vie (migration, reproduction, croissance). Leur aire de répartition étendue offre une grande variété de proies potentielles. Son régime alimentaire à l’âge adulte se compose essentiellement de raie (ex: raie pastenague, raie aigle) et de requins de récifs (ex: requin pointe noire, requin bordé, requin gris) en particulier dans l’archipel des Tuamotu. On connaît peu son régime alimentaire au stade juvénile mais quelques études montrent qu’il consomme en majorité des crustacés et poissons.
Le Grand requin marteau Sphyrna mokarran, est une espèce de requin peu étudiée en raison de sa nature cryptique et migratoire. Des études suggèrent toutefois que l'espèce est globalement soumise à une variété de facteurs de stress d'origine anthropique.
Sa vulnérabilité avérée face aux activités humaines et le constat alarmant d'un déclin global de la population de Grands requins marteaux, ont conduit à son inscription officielle sur la liste rouge de l'UICN des espèces "en danger". Depuis 2018, l'espèce est classée "En danger critique d'extinction".
Le Grand requin marteau est pêché à l'échelle mondiale. Il constitue aussi bien une prise ciblée qu'une prise accessoire (i.e., non-ciblée), dans les pêcheries côtières et hauturières, industrielles et artisanales. Le commerce des ailerons de requins est un facteur majeur du déclin des populations de requins dans le monde. En raison de leur grande taille et de leur forte teneur en fibres cartilagineuses, communes à tous les requins marteaux, les ailerons et nageoires sont très prisés des marchés asiatiques des ailerons de requins, contribuant ainsi fortement au déclin de l'espèce. Ce taux de mortalité élevé, combiné à la maturité sexuelle tardive de l'espèce et au fait que les femelles ne se reproduisent qu'une fois tous les deux ans, ne fait qu'accentuer le risque d'extinction de l'espèce qui n'a pas le temps de se régénérer.
La population de Grands requins marteaux a connu un déclin considérable dans l'océan Indien, la mer Méditerranée et l'océan Atlantique. On constate toutefois un manque de données disponibles relatives à la région Pacifique. On estime que la population mondiale de Grands requins marteaux a subi un déclin de l'ordre de plus de 80 % en 70 ans. Bien que des données précises restent globalement manquantes, l'incertitude subsiste quant aux niveaux actuels d'exploitation qui sont potentiellement similaires à ceux du requin marteau halicorne Sphyrna lewini, également évalué comme étant globalement en "danger critique d'extinction".